Préparer les Fêtes de fin d'année, 25 décembre & 6 janvier

"les Forces Cosmiques et la constitution de l'Homme

                    le Mystère de Noël"

de Rudolf Steiner...

DEUXIÈME CONFÉRENCE

Dornach, le 25 décembre 1921

Celui qui tente de pénétrer la nature véritable du
cours de l'histoire, en le considérant simplement,
comme cela est d'usage aujourd'hui, comme une suc-
cession de causes et d'effets, n'en tirera pas la con-
naissance des forces, des impulsions que l'histoire
pourrait lui donner. L'histoire ne se révèle qu'à celui
qui est capable de percevoir dans la succession des
faits l'accomplissement de l'action d'une sagesse. On
en est presque arrivé à penser aujourd'hui de ceux qui
voient l'action d'une sagesse dans les faits extérieurs,
et en particulier dans ceux de l'histoire de l'humanité,

qu'ils succombent à des représentations superstitieuses et mêlent à ces faits des choses qui sont le pur pro-
duit de leur imagination. En effet on ne doit pas intro-
duire dans son jugement, des choses que l'on a soi-
même imaginées. On ne doit pas violer les faits en les
interprétant à sa guise. Il faut essayer de laisser parler
les choses. Or l'histoire est un domaine où l'on cons-
tate, si l'on est tant soit peu objectif, la présence
active d'une sagesse et ceci en particulier à des tour-
nants importants du développement de l'humanité.
Parmi les faits importants que l'histoire a pro-
duits, il y a l'institution des jours de fête de l'année, et
en premier lieu des grands jours de fête. Vous vous
êtes sûrement déjà demandé pourquoi Noël, que l'on
dit fête fixe, tombe tous les ans vers le solstice d'hiver:
les 24 et 25 décembre, alors que l'institution de la fête
de Pâques, que l'on dit fête mobile, est alignée sur le


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rapport entre le soleil et la lune, tirant ainsi en quel-
que sorte sa date du cosmos. Les jours de fête vien-
nent en effet marquer la vie de ceux qui n'y sont pas
indifférents. Et c'est bien comme cela! Parce que les
fêtes sont là pour faire jaillir des pensées profondes !
pour faire sourdre du coeur et de l'âme des sensa-
tions, des sentiments intenses ! Pour faire sentir aux
hommes qu'ils sont liés aux saisons et à ce qui agit
dans chacune d'elles !
Pour connaître les raisons sous-jacentes, dans
l'histoire, à l'institution de fêtes en certaines périodes
de l'année, il faut réfléchir au fait que, contrairement
à Pâques, la fête fixe de Noël tombe pendant la saison
où la terre se ferme le plus aux influences extra-
terrestres. A cette époque où le soleil a une action
moindre sur la terre, où la terre, grâce aux forces
qu'elle a accumulées en été et au printemps, se donne
ce revêtement singulier pour les jours les plus courts, à
cette époque où la terre réalise donc de par ses propres
forces ce qu'elle ne peut réaliser qu'au moment où
l'influence cosmique est des plus faibles, alors nous
fêtons Noël.
Puis quand revient le temps où les influences du
cosmos agissent le plus fortement sur terre, où la cha-
leur du soleil, sa lumière font sortir la végétation du
sol, où le ciel agit donc communément avec la terre
pour lui tisser son vêtement : alors, nous fêtons
Pâques. L'institution de ces fêtes, qui n'est pas le
résultat de pensées que l'humanité aurait fabriquées
arbitrairement mais de pensées qui se sont pour ainsi
dire développées dans l'humanité au cours de l'his-
toire, témoigne d'un élément dont la connaissance
nous permet de le vénérer intimement, de regarder
avec respect, passion et amour l'époque des anciens.
Autrement dit, la vision dans l'histoire de la pré-

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sence active de la sagesse nous montre quelles sont,
dans cette histoire, les forces et les impulsions qui
influent réellement sur l'âme humaine.
La fête de Noël, telle que nous la fêtons au-
jourd'hui, en cette période de l'année où les jours sont
les plus courts — les 24 et 25 décembre — ne se fête
dans l'Eglise chrétienne que depuis l'an 354. On ne
remarque pas assez que jusqu'en l'an 353, même dans
la Rome chrétienne catholique, Noël, la Nativité ne se
fêtait pas encore ce jour-là. Quand on étudie l'his-
toire, il est donc des plus intéressant de voir comment
la fête de Noël repose sur un instinct pour l'histoire, et
sur des sources de sagesse très profondes dont l'action
était sans doute inconsciente la plupart du temps.
Bien que comparable, ce que l'on fêtait aupara-
vant était radicalement différent : c'est le 6 janvier que
l'on fêtait l'apparition du Christ. Cette fête de l'ap-
parition du Christ, commémorait le Baptême par
Jean-Baptiste dans le Jourdain. Et c'est ce baptême
par Jean-Baptiste dans le Jourdain qui, en ces pre-
miers siècles de la chrétienté, était la fête détermi-
nante. C'est seulement à partir de la date que je viens
de vous indiquer que la fête de l'apparition du Christ,
cette fête qui commémorait le baptême par Jean-
Baptiste dans le Jourdain, fut avancée de douze Nuits
Saintes au 25 décembre, et fut remplacée par la com-
mémoration de la naissance du Christ Jésus. Et il faut
voir cela en lien avec les profondes transformations
qui marquèrent l'histoire chrétienne.
Car, que peut révéler le fait que dans les premiers
siècles du christianisme on ait commémoré le Baptême
par Jean-Baptiste dans le Jourdain? Que signifie ce
Baptême par Jean-Baptiste dans le Jourdain? Sa
signification est que l'entité du Christ descend du haut


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des cieux, des régions extra-terrestres, cosmiques,
pour s'unir à l'être humain qu'est Jésus de Nazareth.
Ce Baptême signifie donc une fécondation de la terre
depuis les espaces cosmiques, une interaction du ciel
et de la terre. C'est par conséquent une naissance
suprasensible que commémorait la fête de l'appari-
tion du Christ: celle du Christ dans Jésus homme âgé
de trente ans.
Aux premiers siècles du christianisme, c'est princi-
palement à l'apparition du Christ sur terre qu'on atta-
chait de l'importance, et en comparaison de cette con-
templation de l'être du Christ extra-terrestre se mani-
festant dans le domaine terrestre on accordait moins
d'importance à la naissance sur terre de l'homme
Jésus de Nazareth, qui n'avait accueilli en lui le Christ
que dans sa trentième année. Voilà ce que l'on vivait
au cours des premiers siècles chrétiens, où c'est donc
la naissance du Christ supra-terrestre que l'on fêtait;
et où l'on cherchait à comprendre ce qui était au fond
intervenu dans l'histoire de la terre.
Quand on prend du recul par rapport à l'évolution
que connaît l'histoire jusqu'au Mystère du Golgotha,
on voit que l'humanité, dans les temps anciens, était
douée d'une sagesse de nature suprasensible devant
inspirer le plus profond respect à celui qui est capable
d'en comprendre toute l'intériorité, tout le caractère.
Les premiers faits de sagesse qui apparaissent comme
quelque chose de naïf, apprennent pourtant beau-
coup, non seulement sur ce qui relève du domaine ter-
restre, mais surtout du domaine extra-terrestre et sur
la manière dont l'extra-terrestre agit sur la terre. On
voit ensuite au cours du développement de l'huma-
nité, un affaiblissement progressif de la lumière de
cette sagesse originelle dans les âmes humaines, on


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voit les hommes se séparer progressivement de cette
sagesse originelle. Et c'est précisément à l'approche
du Mystère de Golgotha que s'est éteinte cette sagesse,
qu'elle a disparu de l'âme humaine. Tous les phéno-
mènes historiques de la civilisation grecque, et notam-
ment de la civilisation romaine, témoignent dans les
domaines les plus divers, que les meilleurs dans
l'humanité étaient conscients qu'il était nécessaire
qu'intervienne un événement céleste nouveau dans la
vie terrestre, pour que la terre et l'humanité puissent
continuer de se développer.
L'histoire de l'humanité sur terre répond effecti-
vement à deux phases: l'attente du Mystère du Golgo-
tha caractérise la première, — nous avons vu que cette
attente n'était pas seulement celle des coeurs simples et
naïfs, mais qu'elle s'exprimait dans la sagesse
suprême —, et nous nous trouvons actuellement dans
la seconde phase: nous espérons en l'accomplissement
progressif du monde suprasensible, de l'influence de
la réalité vivante extra-terrestre cosmique dans notre
devenir terrestre. Occupant donc le centre de l'évolu-
tion terrestre de l'humanité, le Mystère du Golgotha
donne ainsi à cette évolution son sens véritable.
J'ai souvent essayé d'illustrer ce dont je viens de
parler, en évoquant devant mes auditeurs cette pein-
ture significative de Léonard de Vinci, se trouvant à
Milan: la Cène, peinture que l'on ne trouve plus dans
sa perfection originale, bien sûr. Repensez à la
manière dont le Sauveur est entouré des douze apô-
tres! Quel contraste avec d'un côté Jean et de l'autre
Judas! Et quelle composition de couleurs! Cette pein-
ture des plus caractéristique, produit de la vision du
Mystère du Golgotha, nous amène à imaginer que si
un être descendait de l'espace galactique, il serait dé-

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routé par la réalité extérieure que lui offrirait la terre;
et nous devons supposer que, venant d'une autre pla-
nète, l'environnement qu'il connaîtrait serait tout à
fait différent. Cet être serait donc étonné par la vision
de toutes les créations que les hommes réalisent sur
terre. Mais si on le conduisait maintenant devant cette
peinture qui symbolise de la manière la plus caracté-
ristique le Mystère du Golgotha, il aurait alors l'intui-
tion immédiate du sens de l'existence terrestre, sim-
plement dans la manière dont Jésus est entouré de ses
douze apôtres, représentant quant à eux toute l'espèce
humaine.
Vous voyez que l'on peut emprunter les voies les
plus diverses pour ressentir que le Mystère du Golgo-
tha donne un sens à l'histoire sur terre. Mais c'est seu
lement en atteignant la vision qu'un être suprasensi-
ble, le Christ, s'est incarné dans un homme par le
Baptême par Jean-Baptiste dans le Jourdain, qu'on
est amené à le ressentir pleinement. Les gnostiques y
sont parvenus avec leur vision du monde, dernier
résidu de l'antique sagesse originelle de l'humanité —
vision différente de cette vision du monde à laquelle
nous aspirons dans l'anthroposophie. On peut dire
que cette sagesse originelle instinctive de l'humanité
était encore suffisante au cours des premiers siècles
chrétiens, après la venue du Christ, pour qu'un cer-
tain nombre d'hommes aient encore pu comprendre
ce qui s'était véritablement produit avec l'apparition
du Christ sur terre. Cette sagesse que possédaient les
gnostiques ne peut plus être nôtre. Etant donné que
l'humanité doit poursuivre son progrès, il faut que
nous atteignions une vision beaucoup plus consciente,
moins instinctive, qui englobe aussi le suprasensible.
Mais que cela ne nous empêche pas de regarder avec

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respect les gnostiques, qui avaient encore cette sagesse
instinctive des hommes leur permettant de compren-
dre toute la signification du Mystère du Golgotha.
C'est de la compréhension de toute cette significa-
tion du Mystère du Golgotha, et de son phénomène
central: le Baptême par Jean-Baptiste dans le Jour-
dain — que découle l'institution de la première grande
fête. Mais il n'est pas moins vrai qu'il était inscrit
dans l'histoire de l'humanité, que la sagesse antique
devait s'éteindre. Et c'est au début du Ive siècle de
l'ère chrétienne qu'il faut faire remonter la perte de
tout rapport avec cette sagesse. Je vous ai présenté
hier, sous un autre point de vue, l'obscurcissement
progressif de cette sagesse originelle. Ce quatrième
siècle marque donc, dans un certain sens, la période
où l'homme commence à être indépendant, à libérer
sa vision de tout ce que ses sens ne peuvent appréhen-
der, de tout ce qui échappe à ce que la raison tire de la
perception sensible. L'humanité devait en quelque
sorte perdre la sagesse ancienne originelle, elle devait
être rejetée dans une vision matérialiste pour conqué-
rir sa liberté; liberté qu'elle n'aurait jamais conquise,
si cette sagesse originelle ne s'était pas obscurcie, car
elle serait restée dépendante vis-à-vis des choses
suprasensibles. Cette vision matérialiste connut ses
premières lueurs au Ive siècle de l'ère chrétienne, et
elle alla en s'accentuant jusqu'à atteindre son point
culminant au XIXe siècle.
Ainsi le matérialisme eut-il du bon dans l'histoire
de l'humanité. Parce que l'âme de l'homme n'était
plus illuminée par la lumière suprasensible, parce que
l'homme était réduit à voir ce que ses sens lui mon-
traient dans l'environnement, une force indépen-
dante, le poussant à la liberté, s'éveilla en lui. Ainsi

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la venue du matérialisme apparut-elle dans l'histoire
de l'humanité, comme un phénomène plein de sa-
I gesse. Mais en même temps que le matérialisme se ren-
dait maître de l'être terrestre de l'homme, le Baptême
par Jean-Baptiste dans les eaux du Jourdain cessait
d'être compris comme symbole de l'influence de
l'extra-terrestre, de l'influence du céleste. On perdit
alors pour ainsi dire la compréhension du sens de la
fête du 6 janvier, de la fête de l'apparition du Christ,
et on se réfugia dans autre chose. La sensation, le sen-
timent profond que l'on ressentait vis-à-vis du
Mystère du Golgotha n'allaient plus au Christ supra-
terrestre, mais commençait d'aller au Jésus terrestre
de Nazareth. Et la fête de la venue du Christ devint la
fête de la venue de l'enfant Jésus. Seulement, cette
évolution a pris un tour tel, qu'elle appelle pour notre
vision actuelle du monde de nouvelles nécessités dans
les aspirations de l'humanité.
Nous voyons qu'au Ive siècle déjà, les hommes
n'avaient plus cette sagesse leur permettant de com-
prendre l'apparition du Christ. L'âme humaine ce-
pendant, la sensibilité de l'homme, la volonté et le
sentiment humains évoluèrent au cours de l'histoire
avec moins de rapidité que ses pensées. Alors que
depuis longtemps, les pensées ne tendaient plus vers
l'apparition du Christ, les coeurs, eux, s'y tournaient
encore. De profonds sentiments vivaient dans la chré-
tienté. Et pendant de longs siècles, ces sentiments pro-
fonds furent déterminants sur le plan du contenu du
développement de l'histoire. Venant d'impulsions ins-
tinctives, ils traduisaient ce qui s'était accompli
d'important pour l'histoire de l'humanité sur terre
avec l'apparition du Christ. On a rattaché la fête de la
naissance de Jésus de Nazareth au jour d'Adam et


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Eve, à la fête du commencement terrestre de l'huma-
nité. Le jour d'Adam et Eve tombe le 24 décembre, la
fête de la naissance de Jésus le 25 décembre. On
voyait en Adam et Eve les êtres humains du commen-
cement de l'histoire de la terre, descendus des hau-
teurs spirituelles, devenus pécheurs sur terre, qui
avaient été pris dans la vie matérielle et qui avaient
perdu leur lien avec les mondes suprasensibles. On
parlait du premier Adam dans le sens des épîtres de
Paul", et on parlait du deuxième Adam comme du
Christ, en disant que dans l'ère chrétienne, l'homme
ne pouvait être pleinement homme qu'en unissant en
lui les forces déchues par Adam aux forces qui le
ramèneraient à Dieu dans le Christ. C'est ce que l'on
voulait exprimer en rapprochant dans le temps la fête
d'Adam et Eve et celle de la Nativité. Et le sentiment
que les choses étaient ainsi, donnant à la vie terrestre
son sens véritable, se perpétua très intimement pen-
dant des siècles.
Un exemple en sont les Jeux du Paradis, ces jeux
profonds de la Nativité", dont nous venons de donner
ici certaines représentations. Ces jeux datent de la fin
du Moyen Age, du début de l'ère moderne, où des
peuplades allemandes, qui étaient auparavant plutôt
implantées dans les régions occidentales, les avaient
apportés à l'Est. Ces hommes, entre autres lieux, se
fixèrent dans l'actuelle Hongrie. On en trouve au
nord du Danube dans la région de Pressbourg, au sud
des Carpathes dans ladite région de Zyps, et en
Transylvanie. Dans ces régions-là, on trouve partout
des homme d'origine alémanique et saxonne, et ceux
que l'on trouve dans le Banat sont d'origine souabe.
Tous ces Allemands de souche ont emporté de leur
patrie d'origine ce patrimoine constitué de ce que


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l'humanité, à partir d'un sentiment profond, reliait en
ces siècles à l'événement le plus important de la terre.
Mais l'évolution de la sagesse dans l'homme
l'amena de plus en plus à intégrer l'événement du
Christ lui aussi dans la conception matérialiste du
monde. Et c'est ainsi qu'au XIXe siècle, nous voyons
poindre le matérialisme dans la théologie. C'est à
cette époque que commence la critique des Evangiles.
On perd la possibilité de savoir — comme cela devrait
être dans des communications suprasensibles — que
ce que l'Imagination donne du suprasensible est diffé-
rent suivant la perspective que l'on poursuit. On
oublie que les sages des siècles antérieurs ont dû eux
aussi voir ces prétendues contradictions dans les
Evangiles, et qu'ils ne les ont pas relevées d'une
manière critique. On se plonge grossièrement dans ces
contradictions des Evangiles, on les explique en éloi-
gnant de ces derniers tout suprasensible. On évacue le
Christ du récit des Evangiles. On tente de considérer
ce récit comme n'importe quel récit profane. Finale-.
ment, nous en arrivons à ne pas pouvoir faire de dis-
tinction entre les recherches des historiens théologiens
et celles d'un historien laïque comme Ranke, à propos
du Mystère du Golgotha.
Quand on consulte ce que le célèbre historien,
Ranke dit au sujet du personnage de Jésus, le repré-
sentant comme l'homme simple mais le plus excep-
tionnel qui ait jamais vécu sur terre; quand on lit tous
ces passages dans lesquels Ranke relate d'une manière
profane la vie de Jésus avec tant d'application, et
qu'on le compare à ce que les théologiens du XIXe siè-
cle, ayant sombré dans le matérialisme, disent du per-
sonnage Jésus, on voit peu de différences de fond
entre les deux. La théologie tourne au matérialisme.

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Pour cette théologie éclairée, le Christ disparaît de la
vision de l'humanité. Le «modeste homme de Naza-
reth» devient progressivement la seule et unique réfé-
rence pour ceux qui entreprennent de décrire la nature
du christianisme. Il suffit de vous rappeler dans ce
contexte la description qu'en fait Adolf Harnack".
Dans son livre «Das Wesen des Christentums» se
trouvent deux passages qui affligeront probablement
beaucoup ceux qui comprennent la nature véritable
du christianisme. Dans le premier, ce théologien se
voulant chrétien dit: le Christ n'a pas sa place dans les
Evangiles, le Fils n'a pas sa place dans les Evangiles,
seul le Père y a sa place. — Et c'est ainsi que le Christ
Jésus qui, au début de notre calendrier, cheminait sur
le sol de Palestine, c'est ainsi que le Christ devient
tout simplement le prédicateur humain de la parole du
Père. Seul le Père a sa place dans les Evangiles: voilà
ce que dit Adolf Harnack, et en disant cela, il se croit
théologien et chrétien ! L'essentiel du christianisme, il
faut le dire, a échappé à «Das Wesen des Christen-
turns», je veux dire par là aux écrits d'Adolf Har-
nack, et une telle vision ne devrait plus être qualifiée
de chrétienne.
La deuxième chose qui, dans ce même ouvrage, est
susceptible de nous affliger, je l'ai rencontrée alors
que j'assistais à une conférence tenue dans une société
dénommée la «Ligue Giordano Bruno»40. Me ratta-
chant aux déclarations d'un des orateurs présents, je
fus amené à dire que l'essentiel de la nature du chris-
tianisme avait disparu de la théologie moderne. Je fis
allusion à la remarque de Harnack dans son ouvrage:
quoiqu'il ait pu se passer dans le jardin de Gethsémani,
c'est l'idée de résurrection et la foi Pascale nées de cet
événement qu'il importe de voir. — La résurrection

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même est donc devenue indifférente aux théologiens
chrétiens d'aujourd'hui. Ils ne veulent pas s'intéresser
à cette résurrection, pas même comme un fait réel.
Quoiqu'il ait pu se passer dans le jardin de Gethsé-
mani, seule compte pour Harnack la foi en la résur-
rection qui s'ensuivit de cet événement, et ce n'est pas
à la résurrection elle-même qu'il veut s'en tenir, mais
à cette foi.
Je fis alors remarquer que l'essentiel du christia-
nisme avait été dit par Paul à partir de ses expériences
sur le chemin de Damas : Mais si le Christ n'est pas
ressuscité, alors notre prédication est vide, vide aussi
notre foi'". — Le plus important dans le christianisme
n'est pas Jésus homme mais l'entité suprasensible qui
est venue en lui par le Baptême par Jean-Baptiste dans
le Jourdain, entité ressuscitée du tombeau de Gethsé-
mani et apparue à ceux qui avaient des facultés pour
le voir. C'est à Paul qu'il apparut en dernier lieu, et
c'est au Christ ressuscité qu'il se réfère. Je dus attirer
l'attention sur le fait que la remarque d'un des théolo-
giens modernes les plus célèbres, se disant chrétien, ne
tenait pas compte de ce qui constitue justement l'es-
sentiel du christianisme, à savoir sa nature suprasensi-
ble. Le Président de la Ligue répliqua des plus bizarre-
ment; voilà ce qu'il me dit: cela ne peut pas se trouver
dans le livre de Harnack, car Harnack est un théolo-
gien protestant et un tel raisonnement rejoindrait
celui dont est l'objet la Tunique de Trêve par exemple
et que ne peuvent tenir que les catholiques. Pour un
catholique en effet, il n'importe pas de pouvoir vrai-
ment prouver que cette sainte Tunique de Trêve pro-
vient réellement de Jérusalem, mais il importe qu'elle
donne lieu à la foi. — Le Président de la Ligue était
tellement partial qu'il ne voulait pas avouer que les

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écrits de Harnack contenaient bien cette affirmation.
N'ayant pas cet ouvrage sous la main, je lui dis que
j'allais lui envoyer le lendemain un mot mentionnant
la page en question. De tels faits trahissent en outre le
«soin» avec lequel sont lus des livres de première
importance! On a lu un livre dont on a jugé qu'il était
primordial, et on n'a même pas noté l'une des remar-
ques les plus importantes, que l'on considère en
revanche ne pas pouvoir s'y trouver ! Mais elle s'y
trouve bel et bien! Tout cela en réalité nous prouve
combien le Christ suprasensible a été évacué de l'his-
toire de l'humanité par une théologie de plus en plus
matérialiste, ne s'en tenant plus qu'à l'apparition
extérieure physique de l'homme Jésus.
Or c'était de belles coutumes et solennités que ces
Jeux de Noël institués par des âmes simples; ils par-
taient de sentiments sains. Et même si les hommes ne
pouvaient plus s'expliquer tout le sens du Mystère du
Golgotha, ils l'avaient encore présent dans leur senti-
ment, dans la mesure où ils s'en tenaient extérieure-
ment à l'apparition matérielle de l'enfant. Dans ce
sens, on peut dire que ces fêtes de la Nativité étaient
belles, qu'elles étaient profondes.
Ce qui est moins beau en revanche, c'est l'idée qui
détruit en l'homme Jésus le Christ. Outre cela, du
point de vue de la plus haute conception chrétienne,
elle n'est pas vraie. On dirait que le sage gouverne-
ment de l'humanité a voulu tenir compte de ce qui
était nécessaire pour faciliter l'éclosion d'une vision
matérialiste du monde en tant que condition préalable
à une évolution de l'humanité vers la liberté. Et dans
la mesure où le matérialisme paraît ainsi nécessaire
pour la liberté de l'humanité, il fallait que la fête de
l'apparition du Christ, le 6 janvier, qui n'était accessi-

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ble qu'à une vision suprasensible, soit avancée au 25
décembre, anniversaire de la naissance de Jésus.
Et ces deux dates entourent les douze Nuits Sain-
tes. L'humanité refit en quelque sorte son chemin à
travers le Zodiaque en accomplissant, symbolique-
ment tout au moins, un douze avec le déplacement de
cette fête.
Il est certes possible aujourd'hui, compte tenu de
tout ce qui est lié pour nous au Christ à travers
l'homme Jésus , de manifester à Noël toute l'intério-
rité, toute la profondeur de cette fête — et dans la
conférence que j'ai tenue hier, j'ai voulu exprimer
l'attitude qu'il convient d'observer aujourd'hui dans
ce contexte. Mais, puisque le matérialisme a connu
dans la théologie son plus grand triomphe, et puisque
le Christ Jésus, aux yeux de la théologie éclairée, n'est
plus que ce modeste homme Jésus, il nous faut main-
tenant retrouver le chemin qui mène à pressentir l'être
christique suprasensible, extra-terrestre.
Quand on poursuit pareille conception, on s'attire
justement l'inimitié des théologiens à tendance maté-
rialiste. Mais de même que, sur le plan matériel, le
soleil envoie sa lumière depuis les espaces cosmiques,
le Christ descendit chez les hommes comme un soleil
spirituel, pour s'unir à Jésus de Nazareth. De même
que l'on voit dans la physionomie extérieure de
l'homme, dans les traits de son visage, et dans ses
mimiques, l'expression de son psycho-spirituel, les
mouvements cosmiques, les gestes que dessinent les
astres dans le cosmos, la chaleur intérieure de l'âme
de l'univers qu'extériorise le rayonnement du soleil,
tout cela constitue la physionomie extérieure du
psycho-spirituel dans lequel baigne le monde entier.
Et la concentration spirituelle que représente la des-

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cente du Christ sur terre a son pendant extérieur
physionomique dans l'émission des rayons solaires
concentriques sur terre. C'est ainsi qu'il faut com-
prendre cela quand on dit que l'être solaire christique
est descendu sur terre.
Et c'est à cette compréhension suprasensible du
Christ que nous voulons tendre de nouveau. Tout en
gardant cette vénération intime pour la fête de la Nati-
vité, pour ce à quoi elle s'est réduite, il faudrait
apprendre à tourner ses pensées vers cette autre nais-
sance, cette naissance extra-terrestre qui s'accomplit
dans le Baptême par Jean-Baptiste dans le Jourdain.
Comme nous avons appris ce qui se passa dans l'éta-
ble de Béthléem, à Nazareth, nous voulons apprendre
à comprendre le grand symbole historique que repré-
sente le Baptême par Jean-Baptiste dans le Jourdain.
Nous voulons connaître le vrai sens des paroles que
rapporte l'Evangile de Saint Luc: Voici mon Fils, Moi
aujourd'hui, je l'ai engendré. — Nous voulons tendre
à la compréhension du Mystère de la fête de Noël, de
manière à ce qu'il redevienne pour nous source de
compréhension de l'apparition du Christ sur terre.
Nous voulons apprendre à compléter la commémora-
tion de la naissance physique, par la compréhension
de la naissance spirituelle.
Ce n'est que progressivement qu'une telle compré-
hension pourra naître, et elle naîtra d'une appréhen-
sion spirituelle des mystères de l'univers. Nous devons
nous efforcer progressivement de comprendre de nou-
veau le Mystère de Golgotha spirituellement. Pour ce
faire, il est nécessaire de pouvoir s'approcher des
impulsions intervenues dans le cours de l'histoire ter-
restre de l'humanité, comme au IVe siècle de l'ère
chrétienne, où, par nécessité intérieure, on avança la

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fête de l'apparition du Christ, fixée au 6 janvier, au
jour de la naissance de Jésus le 25 décembre. Il faut
apprendre à reconnaître le sage gouvernement de
l'histoire de l'humanité. On doit apprendre à s'adon-
ner de tout son être à ce devenir historique. Alors, on
apprendra à reconnaître le sage gouvernement de
l'histoire de l'humanité sans superstition et sans mêler
son propre imaginaire à l'histoire. Il faut apprendre à
ne pas seulement se pencher sur l'histoire avec des
idées abstraites en ne s'intéressant qu'à la chaîne de
causes et effets, mais à s'adonner à ce devenir histori-
que de tout son être. C'est alors que l'on saisira en
quoi l'époque présente est une véritable période de
transition dans laquelle nous devons passer de la
vision matérialiste actuelle du monde à une élévation
vers le suprasensible, conforme à la nature de
l'homme. Et cette élévation vers le suprasensible se
traduira par une nouvelle compréhension de l'appari-
tion de Christ sur terre, du Mystère du Golgotha.
Ainsi la fête de Noël se présente-t-elle sous deux
aspects à celui qui est vraiment capable de compren-
dre l'esprit de notre époque. Il y a d'abord ce qui est
apparu dans l'histoire récente, depuis le Ive siècle de
l'ère chrétienne, qui a donné lieu dans la simplicité à
de si belles choses dans le peuple et qui, aujourd'hui
encore, fait naître en nous un profond émerveillement
quand nous le voyons revivre dans ces jeux populaires
que nous essayons de recréer en nous inspirant de
notre science anthroposophique. Toute cette cordia
-
lité humaine s'est déversée dans la vie durant ces siè-
cles justement où la conception du christianisme a pris
des formes de plus en plus matérialistes, pour en arri-
ver au XIXe siècle à devoir basculer par sa propre
absurdité, et à devoir retourner au spirituel. Et c'est

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là que nous avons aujourd'hui le deuxième aspect de
la fête de Noël: en plus de ce sentiment que nous
éprouvons à l'égard des Noëls traditionnels et qui est
apparu dès le Ive siècle de l'ère chrétienne, et de cette
cordialité que nous voulons partager, nous devons
faire naître à partir de notre conscience contempo-
raine un Noël nouveau; un deuxième Noël doit naître
en plus de cet ancien Noël.
Que le Christ renaisse par l'humanité. Que la fête
de Noël soit traditionnellement la fête de la naissance
de Jésus, et qu'elle soit spirituellement la fête de la
naissance d'une nouvelle conception du Christ, nou-
velle non pas par rapport aux premiers siècles, mais
par rapport aux siècles postérieurs au IVe siècle! Et
qu'ainsi, la fête de Noël ne soit pas seulement une fête
commémorative d'une naissance, mais une fête par
laquelle nous vivons chaque année la présence directe
d'une naissance, la fête d'un développement présent !
Que la naissance de la nouvelle idée christique
s'accomplisse ! Et que la fête de Noël gagne en elle-
même cette intensité qui fera que chaque année, en
cette période précise, l'homme voie la nécessité de
faire naître une nouvelle idée christique!
Que cette fête de commémoration qu'est Noël
devienne une fête actuelle, une nuit sainte consacrée à
cette naissance à laquelle l'homme participe dans son
avenir immédiat ! Alors elle aura vraiment une inci-
dence sur notre devenir historique, elle s'insinuera
avec une force grandissante dans ce devenir de
l'humanité qui en a tant besoin. Noël, alors, sera un
Noël des mondes !

 


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