la Vie après la mort

L’Anthroposophie sous son double aspect de science descriptive de l’homme et du cosmos et de l’impulsion morale et religieuse

Rudolf STEINER 23 mai1924

Première conférence

La dernière fois qu’il m’a été donné de parler à un certain nombre d’entre vous, notre Gœtheanum existait encore. J’ai eu alors une très grande satisfaction à m’exprimer devant un groupe d’amis français. Cette satisfaction se trouve renouvelée aujourd’hui du fait que ces amis m’ont invité à traiter ici de quelques sujets relatifs à l’Anthroposophie. Je remercie ces amis de leur si aimable invitation. J’en remercie en particulier Mademoiselle Sauerwein, et je suis également heureux que Monsieur Sauerwein, qui, lors de mes conférences de Dornach, en 1922, les traduisit en français, d’une manière si obligeante, ait bien voulu assumer aujourd’hui la même tâche. Je lui en suis tout particulièrement reconnaissant.

Certaines choses, dans le mouvement anthroposophique, se sont transformées depuis lors.

Cette transformation provient de ce que nous avons pu, relativement peu de temps après avoir été frappés par la perte du Gœtheanum (1°Goetheanum), tenir le Congrès de Noël auquel nos amis anthroposophes participèrent d’une manière si intense. Ce Congrès a donné, je crois, une impulsion nouvelle au mouvement tout entier, et, en particulier, à la substance de l’activité anthroposophique elle-même.

Une chose également nouvelle dans le mouvement anthroposophique, c’est que je me sois chargé de la présidence de la Société, alors que jusqu’ici je ne me considérais que comme un Instructeur, le poste de président étant assumé par d’autres. Ce fut pour moi, une décision très importante même à

l’égard des mondes spirituels. C’était presque une audace, car il aurait fort bien pu arriver que les révélations dues aux entités spirituelles, révélations sur lesquelles nous devons tabler lorsqu’il s’agit du développement de l’Anthroposophie, se fissent moins abondantes, du moment où je me laissais

absorber par la gestion extérieure de la Société. Mais je puis dès aujourd’hui constater, chose très importante que cela n’a pas été le cas. Au contraire, depuis le Congrès de Noël, l’impulsion spirituelle qui doit descendre des mondes supérieurs pour que le mouvement anthroposophique poursuive son développement, s’est considérablement accrue, de sorte qu’il a pu devenir de plus en plus ésotérique et qu’il le deviendra davantage encore. Certes, il en est résulté que, du côté des mondes spirituels, des forces contraires très énergiques, des forces démoniaques, se sont lancées à l’assaut du mouvement anthroposophique. Mais le pacte que nous avons pu lier, grâce au Congrès de Noël, avec les bonnes puissances spirituelles, aura, nous l’espérons absolument, assez de force pour mettre en déroute ces adversaires spirituels, qui, sur la terre se servent des êtres humains pour atteindre leurs buts.

Au cours des trois conférences que je vais donner, je voudrais essayer de montrer comment l’Antroposophie nous offre une connaissance de ce qui est spirituel dans l’univers et dans l’homme, mais une connaissance de telle nature que l’on peut en retirer de véritables impulsions intérieures pouvant féconder dans l’âme la vie morale et la vie religieuse. C’est justement parce qu’il va devenir possible à l’homme d’acquérir des connaissances qui soient, en même temps des impulsions morales et religieuses, que  l’Antroposophie

apportera à l’humanité tout autre chose que la civilisation de ces derniers siècles. Le mal dont a souffert cette civilisation vient de ce qu’elle mettait au jour des connaissances d’une envergure grandiose : sciences naturelles, économiques, philosophiques, mais que toutes ces connaissances n’occupaient réellement que la tête de l’homme.

Les impulsions morales et religieuses ne pouvaient plus alors jaillir que du cœur, de l’âme sensitive.

Là, elles se présentaient sous la forme de l’idéal moral et religieux, mais ces idéaux contenaient-ils une force suffisante pour que le sentiment, animé par eux, put créer des univers réels ? Assuraient-ils à l’homme un avenir dépassant l’instant de la mort, instant où le monde physique présent serait évanoui ? À ces questions, la science moderne ne pouvait rien répondre. Et c’est de là que naquit le grand Doute du siècle dernier, le grand Doute de l’époque présente.

Je voudrais, aujourd’hui, considérer l’être de l’homme sous trois aspects. Cet être de l’homme, nous le suivons des yeux entre la naissance et la mort; nous nous trouvons, avec toute notre destinée pris entre ces deux limites: d’une part la naissance ou plus exactement la conception, d’autre part la mort. La naissance et la mort ne sont pas la vie, l’une commence la vie, l’autre la termine. La question qui se pose est celle-ci: le mode d’examen qui nous sert dans la vie, entre la naissance et la mort, soit qu’il s’agisse de comprendre notre propre vie, soit qu’il s’agisse de comprendre celle de nos semblables, ce mode d’examen et d’étude peut-il servir aussi à considérer la naissance elle-même, la mort elle-même? Ou faut-il, au contraire, qu’à ces deux termes, l’examen se transforme entièrement? Commençons aujourd’hui par envisager la mort qui clôt d’une manière si précise l’existence terrestre de l’homme.

La mort ravit le corps physique de l’homme, elle prend cette forme humaine que nous avons devant les yeux et la rend à la vie de la terre. De quelle manière la mort ravit-elle ce corps physique? C’est la terre, ce sont les éléments qui reprennent l’homme terrestre. Ce sont ses propres éléments, s’il y a sépulture, et l’élément du feu s’il y a crémation.

Qu’est-ce que la terre peut faire de cet être humain que percevait nos sens? Elle ne peut que s’appliquer à sa destruction.

Jetons un regard sur les forces qui sont autour de nous. Lorsque le cadavre humain leur est livré, elles ne peuvent rien y construire, elles ne peuvent que le détruire. Nous pouvons dire, par conséquent que les forces dont la Nature nous entoure ne sont pas constructives, car, dès que le corps humain leur est livré, elles le désagrègent. Puisque ces forces terrestres dissolvent notre corps, il faut qu’il y ait en lui, durant la vie, une force extra-terrestre qui l’édifie.

La question se présente tout autrement lorsqu’on examine la mort de l’homme à l’aide des pouvoirs de connaissances spéciaux qui ont été engendrés dans l’âme par les disciplines spirituelles.

La connaissance ordinaire voit le cadavre, rien d’autre. Mais si l’on parvient, grâce à des disciplines intérieures, à la première étape de connaissance supérieure que j’ai d’écrite dans mes livres, à l’Imagination, alors l’aspect de la mort se transforme entièrement. À travers la mort, on voit alors l’être de l’homme s’arracher à la terre. Lorsque nous développons en nous la faculté de connaissance qu’est l’imagination, nous voyions, au moment même de sa mort, l’être humain nous apparaître sous forme d’images vivantes. Nous le voyons, non pas mourir, mais ressusciter de son corps. Nous avons la vision directe de cette résurrection.

Pour l’étape de l’Imagination, la mort physique se transforme en naissance spirituelle. Avant la mort, l’homme nous apparaît sous l’aspect d’un être terrestre. Il peut dire «Je suis ici, à cet endroit; là-bas, c’est le monde».

À l’instant de la mort, l’homme cesse d’être seulement à l’endroit où se trouve son corps. Son existence commence à s’étendre jusqu’aux confins de l’espace cosmique. L’homme devient un avec l’univers que, jusqu’à présent, il n’avait pu que contempler. À ce moment, le monde qui s’étend hors de son corps devient son expérience subjective. Et, par là même, ce qui été, précédemment, son monde intérieur devient son monde extérieur. De l’existence personnelle, nous passons dès lors à l’existence cosmique. La terre, c’est ainsi que la chose apparaît à la connaissance imaginative, la terre est ce qui nous donne la possibilité de passer par l’épreuve de la mort. Elle se révèle à la connaissance imaginative comme étant, au sein de l’univers, le porteur de la mort. Nulle part, en aucune des sphères où l’homme peut intervenir au cours de la vie physique ou de la vie spirituelle, nulle part, on ne trouve la mort si ce n’est sur la terre. Hors à l’instant où l’homme a traversé la mort et est devenu un avec le Cosmos, un second  «aspect» s’offre à lui, un aspect qui n’est pas celui de la mort, mais celui de l’immense univers saturé de toutes parts par les Pensées Cosmiques. Le Cosmos entier devient alors, aux yeux de l’imagination, et pour l’homme lui-même lorsqu’il a traversé la mort, un univers rempli de Pensées Cosmiques qui vivent et se meuvent dans les profondeurs de l’espace. L’aspect entier de l’espace nous révèle alors que nous entrons dans un monde de Pensées Cosmiques. Tout s’active et s’anime dans ces Pensées

Cosmiques. C’est le second aspect de la mort.

Lorsqu’au cours de la vie terrestre nous nous trouvons en face d’un être humain, ce que nous avons devant nous, c’est, tout d’abord, sa personnalité. Pour que nous connaissions sa pensée, il faut qu’il parle. Nous disons alors: les pensées sont en lui, elles nous arrivent grâce à sa parole. Mais il n’est pas un seul domaine de la vie terrestre où nous puissions découvrir des pensées qui aient une vie indépendante. Les pensées ne sont données que dans l’homme et elles proviennent de lui. Or, lorsque nous sommes passés par la sphère proprement terrestre de la mort, par l’aspect de la terre, et que nous entrons dans la sphère spatiale des Pensées, alors ce ne sont pas des êtres qui se tiennent devant nous. Nous ne rencontrons, tout d’abord, dans ce vaste espace cosmique, aucun être, ni dieux, ni hommes, mais partout viennent à nous, les Pensées des mondes. Ainsi lorsque nous avons traversé la mort et que nous sommes entrés dans le domaine de l’étendue cosmique, nous faisons la même expérience que si, rencontrant ici-bas un homme, nous percevions, tout d’abord ces pensées sans voir l’homme lui-même. Nous percevons comme un nuage de pensées, puis un second nuage.

Nous ne voyons aucun être, mais nous trouvons partout épandues les Pensées de l’Universelle Intelligence. C’est dans cette sphère de l’Intelligence cosmique que vit l’homme, pendant quelques jours à la suite de sa mort.

De toutes ces pensées cosmiques qui vont et viennent il en est une qui émerge particulièrement comme un nuage qui attire l’attention parmi les autres: c’est la dernière existence que l’on a vécue. Elle est inscrite dans l’Intelligence des Mondes. On contemple, alors, sa propre vie, en un vaste tableau qui subsiste pendant quelques jours. Ces jours sont peu nombreux, et ce qui est inscrit dans l’Intelligence cosmique paraît de jour en jour plus faible. Ce tableau s’évanouit, peu à peu, dans l’espace cosmique et disparaît. Tandis que l’aspect de la mort se dresse au terme de la

vie terrestre, cette seconde vie de quelques jours s’achève par un évanouissement complet dans l’étendue cosmique. L’homme a donc trouvé, après le premier aspect de la mort, un second aspect que l’on peut nommer l’évanouissement de sa propre vie terrestre. C’est là, en vérité, pour tout être humain, un instant d’immense angoisse, il éprouve alors la terreur de se perdre, avec toute sa vie terrestre écoulée, dans l’immensité de l’étendue cosmique.

Pour progresser dans la connaissance des expériences que fait l’être humain, lorsqu’il a traversé la mort, l’imagination ne suffit pas; il faut atteindre au second stade de la connaissance, à l’Inspiration. Le stade de l’Imagination présente des images qui sont apparentées à celles du rêve, nous ne sommes jamais certains qu’une réalité se cache derrière elles. Au contraire, les images de la connaissance imaginative sont toujours d’une telle nature qu’elles expriment de par leur qualité spécifique, une réalité. Grâce à l’imagination, on vit dans un univers d’images, mais cet univers est une réalité. Cette étape doit pourtant être dépassée lorsque l’on veut parvenir à la contemplation des expériences que fait l’homme au-delà des quelques jours qui suivent immédiatement sa mort, et pendant lesquels il a revu le tableau de sa propre vie terrestre.

L’inspiration, qui doit-être acquise après l’imagination, ou pendant que l’on acquiert celle-ci, l’inspiration n’apporte à l’homme aucune image. C’est une connaissance dépourvue de toute image.

Elle consiste en une audition spirituelle. De tous côtés, le Verbe cosmique parle et résonne. On sait avec netteté que quelque chose se trouve derrière ce son. On en reçoit tout d’abord comme l’annonciation. Ensuite, lorsqu’on peut s’adonner à cette inspiration, il arrive que les Entités des mondes, elles-mêmes, commencent à être perçues par l’intuition. Si l’imagination perçoit les images du monde spirituel, si l’inspiration entend parler l’esprit, l’intuition perçoit les Êtres. Les Pensées cosmiques, dont il s’est agi tout à l’heure, ne se rapportait pas encore à des êtres, mais, derrière ces Pensées, nous arrivons maintenant à entendre des paroles, puis à voir des êtres.

Le premier aspect de la mort est l’aspect terrestre. Le second aspect nous entraîne parmi les immensités de l’espace, dans lesquelles nous ne pouvons jeter habituellement qu’un regard incompréhensif.

C’est l’aspect de l’évanouissement de l’être humain. Et le troisième aspect nous livre enfin ce qui, même pour le regard sensible, borne de toute part l’espace, le troisième aspect est celui des Étoiles.

Les Étoiles n’apparaissent pas alors comme les voit le regard physique. Pour ce dernier, elles sont des points lumineux qui brillent aux confins de l’espace visible. Lorsque nous sommes parvenus à la connaissance intuitive, les Étoiles deviennent pour nous les révélations d’êtres cosmiques spirituels, et nous contemplons, à la place des étoiles physiques, des colonies spirituelles situées au sein de l’univers spirituel, occupant les lieux précis où nous avons cru voir des étoiles physiques. Le troisième aspect est donc celui des Étoiles. Après que nous avons appris à connaître la mort, après que nous avons reconnu l’Intelligence Cosmique répandue dans l’espace, il nous introduit dans la sphère des entités spirituelles de l’univers. Lorsque l’homme a franchi de la sorte, l’abîme de l’Intelligence des mondes, et qu’il entre dans la sphère des entités cosmiques, qui est en même temps la sphère des Étoiles, le ciel étoilé le reçoit comme la terre l’avait reçu entre sa naissance et sa mort. Sur la terre l’homme était une créature terrestre parmi d’autres créatures terrestres, après la mort, il est une créature céleste parmi d’autres créatures célestes.

La première des sphères cosmiques dans lesquelles l’être humain pénètre alors est celle de la Lune. Plus tard, il pénétrera dans de nouveaux cercles cosmiques. Qu’on me permette de dessiner au tableau un schéma qui soutiendra mon explication. Au moment de la mort, l’homme appartient encore à la sphère de la terre, il voit la terre avec les différentes matières dont elle est constituée, ses métaux, ses corps divers. Dès la mort, ce que peut embrasser le savoir terrestre perd à ses yeux toute signification, toute cette différenciation cesse d’exister, tous les corps solides ne sont plus que l’élément «terre», et l’homme ne vit plus que dans les quatre éléments: terre, eau, air et chaleur.

Désignons les premiers jours qui suivent la mort par cette sphère bleue. C’est celle de l’Intelligence Cosmique. Là, l’homme voit le tableau de sa propre vie terrestre, il se trouve pris entre le domaine de la terre et le domaine du ciel. Lorsque ces quelques jours sont écoulés, il pénètre dans le domaine du ciel, et, tout d’abord, dans la sphère de la Lune. Dans cette sphère de la Lune, il commence à rencontrer des êtres cosmiques réels, mais ces êtres sont encore extrêmement semblables à lui. Ce sont des êtres avec lesquels il a été autrefois uni sur la terre.

Vous pourrez lire, dans mes ouvrages, comment le globe physique de la Lune s’est jadis séparé de la Terre. Il était tout d’abord uni à la terre, puis il s’en est séparé pour devenir un astre indépendant; mais ce n’est pas seulement la Lune physique qui s’est séparée de la sorte. Jadis, de grands Instructeurs de  l’humanité, de grands Maîtres originels avaient apporté à l’homme terrestre sa première sagesse; ces Maîtres originels n’apparaissaient pas sur la terre dans un corps physique, mais seulement dans un corps éthérique. L’homme, lorsqu’il recevait leur enseignement, le percevait intérieurement.

Après qu’ils eurent séjourné quelque temps sur la terre, ces Instructeurs s’en séparèrent avec le globe de la Lune et formèrent sur celle-ci la colonie spirituelle des entités lunaires. Ces anciens Instructeurs des hommes, qui ont quitté la terre depuis longtemps, sont les premiers êtres cosmiques que l’homme rencontre quelques jours après sa mort.

La période pendant laquelle l’homme séjourne auprès de ces entités lunaires constitue une vie nouvelle qui est reliée, par des rapports précis, à la vie terrestre écoulée. On croit peut-être que cette phase de la vie spirituelle de l’homme, lorsqu’on arrive à la contempler par les moyens de la connaissance suprasensible, est fluide, fugace, moins stable que la vie terrestre. On l’imagine peut-être comme une forme de vie plutôt aérienne en regard de la densité terrestre, il n’en est rien.

Lorsqu’on participe, grâce à la connaissance suprasensible, à la Vie que mène un homme durant cette période de son destin, on s’aperçoit que cette Vie agit sur lui d’une manière beaucoup plus réaliste que la vie terrestre. C’est la vie terrestre qui, sous bien des rapports, paraît un rêve en regard de l’existence lunaire. Les expériences qui se font alors varient selon les individus. Comment peut-on les caractériser?

L’homme qui considère sa vie terrestre est généralement la proie d’une illusion: il voit bien les journées vécues, mais il est inconscient de toutes les expériences faites spirituellement la nuit, pendant son sommeil. Notre vie est organisée de telle sorte que nous dormons, lorsque nous ne sommes pas particulièrement dormeurs, pendant le tiers environ de notre existence terrestre. C’est sur ce tiers que l’homme jette à présent son regard du haut de la sphère lunaire. C’est ce tiers qu’il revit consciemment en union avec les grandes Puissances Lunaires. La possibilité de cette expérience nous est donnée par les Instructeurs Originels de l’humanité qui déversent en nous leur vie, qui vivent avec nous. C’est grâce à eux que nous pouvons alors revivre ces heures de la nuit qui, pendant l’existence terrestre, demeuraient inconscientes. Et nous les revivons, en effet, avec un caractère de force et de réalité. Je voudrais me permettre d’illustrer ce que je viens de dire par un exemple:

Peut-être quelques-uns d’entre vous connaissent-ils l’un ou l’autre de mes «Mystères», et savent-ils que j’ai esquissé là, parmi d’autres personnages, la figure d’un certain Strader. Ce Strader est une création artistique faite d’après une personnalité qui vivait alors, et qui, depuis, est morte. Ce n’est pas que la vie terrestre réelle de cette personnalité ait été retracée dans le drame, mais la création que j’ai faite du personnage de Strader est basée sur la vie terrestre de cet homme qui m’intéressait au plus haut point. D’une condition relativement modeste, il était d’abord entré dans les Ordres, puis avait rejeté l’habit ecclésiastique et était devenu un savant officiel, d’orientation assez rationaliste. L’ensemble des luttes intérieures que traversait cet homme m’intéressait, et je cherchais à les embrasser avec le regard spirituel. Lorsque j’écrivis les «Mystères» j’avais cette vie terrestre devant les yeux. Plus tard, lorsque cet homme fut mort, l’intérêt que je lui avais porté me permit de le suivre du regard pendant la période passée par lui dans la sphère lunaire. Il s’y trouve encore aujourd’hui. Dès le moment où est surgie devant moi cette individualité d’un mort, avec toute l’intense réalité que l’existence lunaire prend en lui, dès ce moment, s’est totalement éteint l’intérêt que j’avais pu éprouver, auparavant, pour son existence terrestre; on se plonge entièrement dans l’existence d’une telle personnalité. Par contrecoup, je dus faire mourir aussi, dans le quatrième de mes drames, le personnage de Strader, parce que je n’avais plus sous les yeux, dans le domaine terrestre, l’homme que ce personnage représentait.

Je ne donne cet exemple que pour renforcer l’affirmation, qui vient d’être faite, à savoir, que la vie de l’être humain, dans la sphère lunaire, est ressentie d’une manière plus intense, plus substantielle, plus intérieurement réelle que l’existence terrestre, et que cette dernière n’apparaît plus, à ses côtés, que comme un rêve.

Considérons attentivement le fait que l’homme, après la mort, déploie sa vie dans toute l’immensité de l’univers. Il devient lui-même le Cosmos. Il sent le Cosmos être son corps, et il éprouve les propriétés éthiques de ce qui lui était extérieur pendant sa vie terrestre. Prenez un exemple vulgaire: admettez que, pendant votre vie terrestre, vous vous soyez laissé entraîner, par la colère, à frapper quelqu’un. Vous avez causé à cette personne une souffrance physique et une douleur morale. Après la mort, dans la sphère lunaire, alors que l’influx des grandes entités lunaires vous pénètre, vous ne revivez pas ce que vous avez éprouvé au moment où vous frappiez votre semblable. Vous aviez accompli cet acte dans un mouvement de colère, et peut-être avec un certain contentement intime. Vous n’aviez pas ressenti la souffrance de l’autre. À présent, dans la sphère lunaire, vous ressentez au contraire ce que l’autre a éprouvé: la douleur physique, la souffrance morale de celui que vous avez frappé. Vous refaites l’expérience de votre action, non point comme vous l’avez commise ou pensée, mais comme l’autre l’a ressentie. Ainsi, durant un espace de temps qui est le tiers de son existence terrestre écoulée, l’homme revit tout ce qu’il a fait et pensé sur la terre mais, comme les autres êtres l’ont ressenti. Ce sont les Entités Lunaires qui lui montrent ainsi ses actes écoulés, avec ce caractère d’intense réalité. Et ce recommencement de la vie se fait réellement à rebours. Je viens de dire que j’ai pu me plonger dans ce recommencement de la vie de Strader, nommons-le ainsi, quoique son nom ait été autre. Or, il mourut en 1912; ce qu’il commença alors à revivre, ce fut tout ce qu’il avait vécu en dernier lieu sur la terre, puis ce qui avait précédé, etc. Lorsque cette personnalité apparaît maintenant dans le champ de ma conscience, je la trouve à peu près en train de revivre, dans la sphère lunaire, ce qu’elle avait vécu en l’an 1875. Le temps qui s’était écoulé entre 1912 et 1875 s’est reproduit pour elle, et elle poursuivra ce recommencement de sa vie terrestre jusqu’à la date de sa naissance.

Ainsi, durant le tiers du temps qu’a duré sa vie terrestre, l’homme la recommence, à rebours, dans la sphère des Entités Lunaires qui furent jadis des entités terrestres. Cette période est le germe de ce qui doit se réaliser sous le nom de Karma dans les existences postérieures. Durant cette vie lunaire, l’homme apprend à percevoir et à sentir intérieurement comment ses actes ont agi sur les autres hommes. Il s’élève alors du tréfonds de son être un vœu puissant le vœu de se charger à son tour de tout ce qu’il a fait supporter aux autres, de tout ce qu’il expérimente à présent dans la sphère spirituelle de la Lune, l’homme souhaite se charger à son tour de ce fardeau pour que l’équilibre soit rétabli. Par cette résolution de réaliser sa destinée conformément aux effets de ses actes et de ses pensées terrestres écoulées, par ce vœu intense, l’homme clôt lui-même la phase du recommencement de sa vie terrestre.

Lorsque le recommencement s’est consommé jusqu’à la date de la naissance et que l’homme a émis, sans aucune terreur, le vœu que nous venons de définir, alors il est mûr pour entrer dans la sphère suivante, dans la sphère de Mercure, et il y entre en effet. Dans cette sphère de Mercure, nous le verrons au cours de la prochaine conférence, l’homme se trouve en présence de nouvelles entités qui n’ont jamais été des entités terrestres. Elles ont toujours séjourné  au-delà de la  terre. L’homme apprend de ces entités comment il pourra continuer à forger sa destinée future. Nous le suivrons ainsi à travers les sphères de Mercure, de Vénus et du Soleil. Et nous apprendrons, de la sorte, à nous représenter ce qu’il advient de l’homme entre la mort et une nouvelle naissance, et comment la totalité de sa vie spirituelle correspond à ce qu’il a vécu parmi les êtres terrestres entre la naissance et la mort. Car l’homme partage sa destinée entre la vie terrestre qui s’écoule de la naissance jusqu’à la mort, et la vie céleste qui s’étend de la mort à une nouvelle naissance. Son existence totale se compose alternativement de ces deux périodes.

De quelle manière? C’est ce que nous traiterons dans les prochaines conférences.

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